Des modernistes au service du terroir

 

Ca y est, j’ai les billets SNCF.


Cela fait plus de dix ans qu’Eric et Joël Durand m’invitent chaque année à leur rendre visite.
Moi qui suis un des tout premiers à Paris à avoir cru en leur talent, je n’avais jamais franchi le pas. Sur l’insistance de Franck Chimbert, notre sommelier, qui se trouve être également leur agent, j’ai dit ok. Sans doute un moment d’inattention, une erreur qui pourrait avoir des conséquences…qui sait ? Je pourrais y prendre goût

Enfin voilà, je suis devant un fait accompli, j’ai deux billets en main et je ne peux plus reculer…j’ai bien cherché un prétexte pour annulermais je n’ai pas osé

 

Me voilà levé aux aurores de ce jeudi      sur un quai de la gare de Lyon.

Je n’aime pas les gares. Les trains non plus. Ca sent mauvais et avant même la fermeture des portes je commence à me plaindre de n’être pas encore arrivé à destination…

 

Franck est tellement heureux qu’il m’embarque dans une discussion enthousiaste qui dure une heure trente…c’est dingue, je n’ai même pas vu le temps passé…et je me rends compte que nous sommes arrivé à destination. Aucun doute possible, j’aperçois Eric Durand sur le quai de gare.

A ce moment précis je commence à me déconnecter de la réalité parisienne et je succombe enfin à une irrésistible envie de me laisser prendre en charge. Je suis entre de bonnes mains. J’en suis certain. Je le sens.

 

(Durand 2010 6 ) 

 

Très vite je me retrouve à Châteaubourg. Un très joli petit village perché au dessus du Rhône, à quelques encablures de Valence. Le vent souffle violement et je m’en étonne mais mon hôte me dit que c’est normal. « C’est tout le temps comme ça ici ». Je n’ai pas l’habitude, le vent me saoule…c’est un comble pour un caviste, à onze heures

(Durand 2010 13 )

 

Ah c’est là ! C’est marqué sur la pancarte fixée au mur de la maison « DOMAINE DURAND ». On y est.

(Durand 2010 15 )

Et sans même y être prié, je m’avance vers cette toute petite entrée qui m’amène directement dans la première cave souterraine.

(durand 2010 23 )

 

Directement, Eric qui a pris l’initiative et me fait descendre dans une deuxième cave, au deuxième sous-sol. Rien n’est préparé spécialement pour ma visite. Tout est « dans le jus ». Je sent qu’ici, même avec les meilleurs intentions du monde, on a pas le temps. Chacun s’active, tout semble se faire dans l’urgence des gens qui avancent. Je me sent dans mon élément. En atmosphère familière. Je suis bien.


(durand 2010 14 )

 

Viognier 2009 :

 

Robe pâle à reflets verdâtres.

Nez très typé d’abricot frais

Bouche fraîche sur l’abricot et la menthe verte.

 

C’est normal, les Durand recherchent, comme tous les bons vignerons, la fraîcheur.

En 2009 il a fallu vendanger très tôt car c’était une année très chaude.

« On aime les Condrieu » me dit Eric. Alors c’est normal qu’ils recherchent la fraîcheur.

(Durand 2010 11 )

 

Syrah 2008 :

 

Robe rouge étincellante.

Nez sur le fruit, la fleur d’oranger et la mûre.

Bouche pleine, ronde et très fruitée. Ce n’est que du fruit et de la violette. Ca se goûte très bien.

« On essaie de faire des extractions toujours très douces sur cette cuvée pour ne faire obtenir une cuvée qui ressemble à un Saint-Joseph ».

A l’évidence ce vin est sur une phase ascendante.

(Durand 2010 6 )

 

Saint-Joseph 2008 :

 

Robe concentrée, rouge aux reflets noirs.

Bouche fraîche et veloutée, avec une bonne acidité. Encore un peu fermé et court en finale.

Ce sera un vin droit, net et sur le fruit. « 2008, on a mis l’accent sur la droiture » ça se sent. « Jusqu’à présent on était sur les grandes lignes et maintenant on est sur les détails ». C’est évident, ces vignerons savent ce qu’ils veulent depuis toujours, mais aujourd’hui, ils savent exactement comment y arriver.

(Durand 2010 12 )
 

Cornas cuvée Prémices 2008 :

 

Robe rouge sombre.

Nez encore fermé.

Bouche toujours très fraîche et minérale. Beaucoup de fruit.

 

Je ressent la force tranquille de Cornas, avec des tanins très fins et élégants. Il y a une chaire que l’on ne peut pas avoir en Saint-Joseph. « L’histoire de Prémices, c’est un vin gourmand provenant d’un seul site ».

 

C’est une cuvée aérienne.

(Durand 2010 16 )

 

Cornas cuvée Empreinte 2008 :

 

Robe noir sombre.

Nez d’épices encore un peu marqué par l’élevage.

Bouche tendue avec beaucoup de rondeur et de densité.

 

C’est une cuvée terrienne.

(Durand 2010 17 )

 

Ces deux cuvées de Cornas ne sont pas à l’image des 2008 difficile et un peu maigres. Il y a du vin. Il est vrai que c’est sur le nord du Rhône que se sont exprimé les plus beaux 2008, mais au-delà, c’est grâce à un état sanitaire des raisins excellent, due lui-même à un travail des sols et de la vigne sans concession, que les frères Durand ont pu attendre début Octobre  pour vendanger. Au-delà d’une prise de risque, c’est le fruit d’un travail stricte et nécessaire des sols et de la vigne. Il y a eu un travail énorme qui a permis d’obtenir de très beaux raisins.

Ce travail a permis d’étoffer la cuvée Prémices cette année.

 

Aujourd’hui, les frères Durant sont parvenu à avoir un style. Demain ils auront une gamme qui s’exprimera toujours dans la pureté.

 

Si je devais qualifier ces deux hommes, je parlerais de modernistes au service du terroir.

 

 

Alors cette vigne, je veux la voir. Ce terroir, je veux le sentir, le toucher. Eric Durand, sans en parler, sans même y penser…en fait il ne pense plus qu’à ça…n’a lui aussi qu’une envie. Me montrer ces fameuses parcelles, à flan de coteaux, sur des sols pénibles à travailler et difficiles d’accès.

(Durand 2010 1 )

 

Nous nous arrêtons un détour d’une minuscule route en lacet, à flanc de coteau. Je découvre un paysage magnifique. Je me sens bien, face au ciel, en plein vent. Je baisse les yeux et  constate avec étonnement que le sol est constitué de gros galets rouges. « Cà, c’est le terroir de Cornas ». Comme à Châteauneuf-du-pape. Je ne m’y attendais pas. C’est beau et puis on a l’impression que le sol vit, bouge, s’enroule…J’aimerais immortaliser l’instant tellement je me sens bien. Mais le vent est tellement violent….il parait que c’est toujours comme ça ici…que j’ai peine à  garder l’équilibre.

(durand 2010 2 )

 

Puis on reprend la route pour enfin découvrir le fameux terroir de Prémices. Un chemin escarpé que gravit Eric Durand avec aisance, tant il est fier de nous montrez sa vigne et plus encore son sol.

(Durand 2010 9 )

Bien qu’habitué aux ruelles de la Butte Montmartre, j’ai peine à le suivre.

(Durand 2010 8 )

Il aime effriter les morceaux de granite entre ses doigts et pour bien me faire comprendre la souffrance de la vigne à plonger ses racines dans ce sol si tendre et si tranchant. C’est beau et impressionnant.

 

Alors on pourrait se dire, si l’on n’avait pas comme moi entendu avec quel enthousiasme les deux frères parlaient du viognier dégusté ce matin, qu’ils se satisferait de ces magnifiques parcelles de Saint-joseph et de Cornas. Mais moi, je sais qu’il n’en est rien.

 

Ils n’ont plus qu’une idée en tête, les deux parcelles qu’ils viennent d’acquérir. Deux fois quatre mille mètres. L’une sur sol argilo calcaire en appellation Saint-Joseph et la deuxième sur sol calcaire sablonneux en appellation Saint-Perray.

(Durand 2010 4 )

Sous influence méditerranéenne elles seront deux mois sans eau. La première donnera des vins ronds et pleins et la seconde des vins sur la minéralité.

(Durand 2010 3 )

Joël, est sur le tracteur. A peine les parcelles défrichées,  il prépare les terrasses sur lesquelles les premiers pieds de vigne seront plantés dans quelques jours.

 

C’est incroyable, pas un souffle de vent. Ces deux parcelles sont parfaitement protégées du vent. Il y fera très chaud cet été. Les deux frères espèrent bien avoir des maturités plus précoces que sur le reste du domaine. « On vendangera certainement deux semaines plus tôt »…Formidable, c’est justement les deux semaines de vacances qu’ils s’autorisent avant les vendanges

 

Il est temps pour moi de penser au retour. Je me retourne une dernière fois. Est-ce dans l’espoir d’apercevoir un des nombreux lézards géants (50 à 80 centimètres) qui demeurent ici depuis la nuit des temps, ou bien pour le plaisir de regarder une des variétés d’orchidées rares ?

Les vins d’Eric et Joël Durand sont le fruit de leur sueur et de leur sang.

(Durand 2010 18 )

Un ultime regard pour admirer une dernière fois ce sol écorché vif qui bientôt cicatrisera et donnera naissance à deux grandes cuvées. J’en prends le pari.

(Durand 2010 20 )

Ce contenu a été publié dans Vins et talents, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Des modernistes au service du terroir

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *